La machine The Beatles se remet en marche avec un quatrième volet de la saga Anthology, ce grand chantier ouvert dans les années 90 pour plonger dans les archives du groupe mythique de Liverpool. Au programme : une nouvelle compilation de 36 raretés (dont 13 véritables inédits au sens “jamais publiés officiellement“), une restauration complète de la série documentaire enrichie d’un épisode bonus signé par l’équipe de Peter Jackson et diffusée sur Disney+ et, pour couronner l’ensemble, une réédition augmentée du livre The Beatles Anthology qui revisite l’histoire du groupe avec un regard actuel et de nouveaux documents issus des fonds Apple Corps. Alors, faut-il ajouter Anthology 4 à votre liste de Noël ?
Le projet Anthology
Lorsque le premier Anthology voit le jour au milieu des années 90, Apple Corps a en tête l’objectif clair de raconter l’histoire de The Beatles de l’intérieur à travers leurs archives sonores et leurs images inédites. À l’époque il s’agit d’un projet titanesque pensé comme un triptyque musical, accompagné d’un livre illustré et surtout d’une série documentaire devenue culte. Le tout est conçu en parallèle, comme un vaste geste mémoriel visant à figer l’aventure des Fab Four dans une forme définitive à la fois intime et profondément humaine. La série documentaire diffusée en 1995 joue un rôle essentiel dans cette démarche. Ce sont Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr qui racontent leur propre histoire enrichie d’archives de John Lennon. Ce point de vue introspectif et inédit à l’époque donne une dimension presque autobiographique au projet. Pour la première fois on découvre The Beatles comme étant quatre jeunes Anglais pris dans une aventure colossale qu’ils tentent de comprendre eux-mêmes.
C’est cette logique mémorielle que perpétue aujourd’hui Anthology 4. Ce nouveau volume s’inscrit non seulement dans la continuité historique de la saga trente ans plus tard, mais aussi dans la démarche plus vaste de replacer l’héritage de The Beatles dans le présent.
Anthology 4
Pour ce quatrième chapitre, inutile de s’attarder longuement sur les 23 titres déjà connus du tracklisting. La plupart sont déjà disponibles dans les éditions deluxe de la discographie de The Beatles. Leur valeur ajoutée ici tient principalement à leur nouveau traitement sonore qui offre une clarté inédite grâce aux outils technologiques utilisés récemment sur “Now And Then” sorti en 2023. À cela s’ajoutent les nouvelles versions remasterisées de “Free As A Bird” et “Real Love”, ces deux morceaux enregistrés lors de la brève reformation des années 90 autour des démos de Lennon. Pour les fans, ce sont des pièces importantes de l’histoire moderne de The Beatles et leur inclusion dans Anthology 4 fait sens.
Alors oui, on peut facilement considérer ce nouveau volume comme du “réchauffé“. Mais Anthology, par essence, n’a jamais été une compilation classique. Son ambition n’est pas d’enchaîner des chansons prêtes à l’écoute, mais de documenter la fabrication de la légende. C’est un projet d’archives presque muséographique qui ouvre les portes des studios comme on ouvrirait un carnet de travail. On n’écoute pas seulement un morceau, on observe la naissance d’une idée, ses tâtonnements, ses accidents mais aussi ses moments de grâce.
Ces fragments plongent ainsi l’auditeur dans l’intimité du groupe avec des discussions et des rires spontanées entre Lennon et McCartney, des prises avortées ou encore des tests de voix… autant de moments qui révèlent la dynamique interne de The Beatles. Parmi les treize pistes inédites l’exemple le plus parlant est peut-être “Every Little Thing (Takes 6 & 7)” enregistré en 1964 pour l’album Beatles For Sale. La prise s’interrompt, Lennon glisse quelques indications puis les Fab Four enchaînent immédiatement vers une nouvelle version. Cette proximité nous donne l’illusion rare d’être dans la pièce à quelques mètres des quatre Beatles.
Du côté des titres déjà connus, on retiendra la magistrale version instrumentale de “Something” qui met en lumière la finesse de son écriture mélodique. Ou encore “I Saw Her Standing There (Take 2)”, deuxième prise du premier morceau de Please Please Me, le tout premier album de The Beatles sorti en 1963. Placer ce titre en ouverture d’Anthology 4 n’a rien d’un hasard, c’est un pont symbolique entre 1963 et 2025. On retrouve aussi la version “Get Back Rooftop Performance”, entendue dans le documentaire Get Back (Disney+) qui représente désormais l’un des moments les plus mythiques de toute la carrière du groupe. Et puis vient la conclusion avec “Now And Then”, le dernier morceau de The Beatles achevé en 2023 à partir d’une démo de John Lennon. Trente ans après Anthology 1, ce morceau qui a replacé The Beatles au sommet des charts sert ici de point final parfait à cette entreprise de mémoire.
…Et 13 inédits
Ce qui a véritablement mis en ébullition les fans (nous compris) dans l’annonce d’Anthology 4 ce sont les treize titres inédits et parmi eux on trouve quelques pièces d’histoire absolument fascinantes. Ces inédits couvrent un pan majeur de la première partie de la carrière du quatuor avec des versions jamais entendues de : “Tell Me Why”, “If I Fell”, “Matchbox” (reprise de Carl Perkins), “Every Little Thing”, “I Need You”, “I’ve Just Seen a Face”, “In My Life”, “Nowhere Man”, “Baby, You’re a Rich Man”, “All You Need Is Love”, “The Fool on the Hill”, “I Am the Walrus” et “Hey Bulldog”. En somme, un corpus qui dévoile une facette totalement différente de l’atelier Beatles.
Parmi les moments les plus marquants, “In My Life (Take 1)” révèle un John Lennon encore en train de trouver sa ligne mélodique et hésitant sur certaines notes. On y découvre un morceau fragile et inachevé. Une occasion unique d’entendre une chanson alors qu’elle n’est encore qu’une esquisse. Autre révélation sur “I Need You” où cette prise alternative se révèle plus vive et plus nerveuse que celle publiée sur Help! en 1965. Elle apporte une couleur totalement différente au morceau, une intensité inattendue qui en fait l’un des temps forts de la sélection inédite. Une variation qui éclaire autrement l’écriture de Harrison et montre combien la chanson aurait pu prendre une toute autre direction.
Également, plusieurs pistes proposées en version instrumentale incarnent une plongée directe dans les architectures mélodiques et harmoniques du groupe avec “The Fool On The Hill (Take 5 – Instrumental)”, “I Am the Walrus (Take 19 – Strings, Brass, Clarinet Overdub)” et “Hey Bulldog (Take 4 – Instrumental)”. Ces versions permettent d’observer la finesse des arrangements et parfois la modernité déconcertante des choix sonores de George Martin et de The Beatles.
Un autre moment savoureux parmi les inédits est “Matchbox (Take 1)” qui rappelle à quel point The Beatles ont toujours nourri leur identité musicale à travers les reprises. Héritée de Carl Perkins, la chanson fait partie de ces standards rockabilly que le groupe jouait bien avant la célébrité dans leurs premiers concerts de Liverpool à Hambourg. Comme on a pu le voir dans le documentaire Get Back, The Beatles avaient cette fâcheuse tendance à rejouer en studio des morceaux qui faisaient partie de leur ADN. C’était leur langage commun. Cette Take 1 de “Matchbox” est une pièce importante du puzzle pour comprendre comment The Beatles travaillaient et d’où ils venaient.
La technologie au service de l’Histoire
Une autre dimension essentielle d’Anthology 4 réside dans l’usage intensif des technologies récentes de reconstruction sonore alors déjà démontrées sur le titre “Now And Then”. Grâce à des outils d’analyse audio capables d’isoler les instruments, de nettoyer des bandes abîmées ou de reconstituer des pistes auparavant inexploitables, des enregistrements autrefois condamnés au silence deviennent aujourd’hui parfaitement audibles. Cette avancée fait d’Anthology 4 un véritable projet-laboratoire telle une entreprise d’archéologie musicale où l’on assemble des fragments de bobines oubliées dans les archives d’Apple Corps jamais destinés à sortir du studio. Pris dans leur ensemble les trente-six titres qui composent l’ensemble permettent d’entendre comment The Beatles déconstruisaient une idée jusqu’à trouver la forme parfaite. Cette matière brute parfois imparfaite mais surtout vivante rappelle à quel point le quatuor a été précurseur dans sa manière de composer et d’enregistrer.
Anthology 4 nous rouvre ainsi la porte de l’atelier des Fab Four, et pour prolonger l’expérience, impossible de ne pas recommander le visionnage de la série documentaire restaurée et enrichie d’un épisode inédit ainsi que la réédition augmentée du livre The Beatles Anthology qui vient officiellement refermer les portes du studio.
Alors, est-ce qu’on va glisser Anthology 4 sur notre liste de Noël ? Sans l’ombre d’un doute.
Informations
Label : Universal Music
Date de sortie : 21/11/2025
Site web : www.thebeatles.com
Notre sélection
- In My Life (Take 1)
- Matchbox
- Hey Bulldog (Take 4 – Instrumental)
Note RUL
4/5







