Il y a encore six mois, imaginer Steven Tyler se fondre incognito dans une petite salle de Kingston pour regarder YUNGBLUD électriser une poignée de fans relevait de la fiction. Pourtant, c’est dans ce genre de moments presque irréels que s’est scellée une alliance dont personne ne savait si elle allait accoucher d’un coup de génie ou d’un pari un peu téméraire. Car One More Time dépasse le cadre d’un EP collaboratif : c’est un véritable artefact générationnel.
D’un côté, un monument du rock américain resté silencieux depuis douze ans; de l’autre, la tornade britannique qui a renversé Black Sabbath, Ozzy et tout un pan du classic rock avec un seul “Changes”.
Sur le papier, la collision est parfaite. Dans les faits, elle donne naissance à une œuvre fascinante, dopée par une énergie bien réelle… mais freinée par une production trop inquiète de bien faire.
Le choc des symboles : union sacrée ou hiérarchie masquée ?
Dès le single “My Only Angel”, le premier face-à-face frappe fort : Tyler et YUNGBLUD se jaugent comme deux fauves qui s’observent avant de bondir. Le disque affiche sans détour son ADN classic rock, où les voix se croisent, se bousculent et cherchent leur terrain commun.
Puis viennent “Problems”, “Wild Woman” et “A Thousand Days”, qui ouvrent la palette : un clin d’œil appuyé à Boston, une dérive country rock calibrée, une ballade plus nocturne… Un spectre large, parfois trop pour rester parfaitement cohérent.
Car si l’intention artistique est limpide, l’équilibre l’est moins. Aerosmith garde les commandes ; YUNGBLUD apporte la fougue, l’insolence, l’étincelle, mais rarement la direction. L’idée reste flamboyante, l’exécution se montre plus sage qu’espéré.
Le rock bodybuildé : l’énergie ne manque pas, l’âme si
Quand Joe Perry allume le riff de “Problems” ou qu’il déploie son toucher sur “My Only Angel”, l’EP retrouve ses fondations : celles d’un rock qui respire par la guitare et qui n’a pas besoin d’excuses.
“Wild Woman”, avec son parfum 80’s presque Bon Jovi, assume même son kitsch avec une franchise désarmante.
Cependant, ce qui aurait pu être un terrain de jeu rugueux finit trop souvent étouffé par une production obsédée par le polissage. L’auto-tune omniprésent gomme les respirations. Tyler, jadis volcanique, est lissé au point de perdre une partie de son aura. YUNGBLUD, lui, glisse parfois vers une imitation involontaire, notamment dans les envolées de “A Thousand Days”. Le rock vit de cicatrices, ici, on les devine à peine.
Le mythe à l’épreuve : hommage vibrant ou faux pas assumé ?
Et puis arrive le pari le plus risqué de l’EP : revisiter “Back In The Saddle”. Monument intemporel du hard rock américain, il sert ici de final modernisé, remanié, presque repensé.
Symboliquement, l’idée fonctionne : c’est une vraie passation de pouvoir, YUNGBLUD se frottant à l’une des voix les plus légendaires du rock.
Sur le plan sonore, c’est plus contrasté. Cette version compacte et surgonflée perd une partie de la tension dramatique de l’original. YUNGBLUD s’en sort avec panache, mais le vernis 2025 écrase une bonne part de la poussière et du danger qui faisaient la force du titre.
Reste un geste audacieux : imparfait, contestable, mais fidèle à l’esprit du projet. Mieux vaut se brûler les ailes que rester sage.
One More Time est un projet généreux, animé par une vraie volonté de relier deux époques du rock. L’énergie est réelle, l’intention admirable… mais la production trop lisse empêche Aerosmith et YUNGBLUD de briller dans ce qui les rend uniques : le chaos, le grain, l’imprévisible. Une alliance rock sans être vraiment rock n’roll.
Informations
Label : Universal Music / Polydor
Date de sortie : 21/11/2025
Site web : onemoretime.lnk.to/theepEM
Notre sélection
- My Only Angel
- Problems
- A Thousand Days
Note RUL
3/5







