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THE RASMUS (03/09/25)

English version

Une semaine avant la sortie de leur nouvel album Weirdo, le chanteur Lauri Ylönen et la nouvelle guitariste Emppu Suhonen ont fait escale à Paris pour promouvoir ce nouveau chapitre de la carrière de The Rasmus. Ils se sont confiés à nous dans une conversation à cœur ouvert, entre confidences intimes, humour spontané et anecdotes.

Des ombres et lumières qui traversent le disque, à leur philosophie de “weirdos”, en passant par des collaborations inattendues et un lien indéfectible avec leurs fans, le duo nous plonge dans l’univers du groupe en 2025. Trente ans après leurs débuts à Helsinki, les rockeurs finlandais continuent d’évoluer sans jamais perdre leur identité, prouvant qu’au cœur des moments les plus sombres, il y a toujours une étincelle.

Salut vous deux, comment allez-vous ?

Lauri Ylönen (chant) : Bien !

Emilia “Emppu” Suhonen (guitare) : Très bien, merci.

Comment vous sentez-vous à quelques jours de la sortie de Weirdo ? Excités ?

Emppu : Oui, on est super excités de sortir l’album la semaine prochaine et de commencer la tournée en même temps. C’est un album spécial pour moi, surtout parce que c’est mon premier.

L’album s’appelle Weirdo. Après plus de 30 ans de carrière, qu’est-ce qui fait encore de The Rasmus un groupe “à part” ?

Lauri : Je pense que c’est simplement notre façon de voir la vie et de nous voir nous-mêmes. On a toujours été un peu bizarres à notre manière, par notre look, mais aussi parce qu’on ne s’est jamais vraiment adaptés à la société. On n’a jamais eu de “vrai” travail, pour ainsi dire.

Essayer de survivre en tant que musiciens n’a pas toujours été facile. Souvent, on a été proches d’arrêter, et la dernière fois, c’était il y a quatre ans, juste avant qu’Emppu rejoigne le groupe. Notre guitariste est parti, on avait des difficultés. Le COVID est aussi passé par là, ça a mis les problèmes en lumière, et on s’est demandé si on n’allait pas arrêter. Et puis on a trouvé Emppu.

Emppu : Oui. Moi, je ne savais rien de leurs soucis ou problèmes, je suis juste venue jouer. (rires)

Lauri : En fait, on a demandé à Emppu de venir à une audition en lui disant qu’on cherchait un guitariste de tournée, une deuxième guitare.

Emppu : C’était un mensonge. Oui, un vrai mensonge. Mais en fait ça a rendu les choses plus faciles pour moi, parce que je pensais que ce n’était pas si énorme que ça d’être juste guitariste de tournée. Et puis je suis arrivée à la salle de répète… et il n’y avait personne d’autre.

Lauri : Il n’y avait pas de guitariste. (rires)

Emppu : J’ai dit : “Attendez une minute !” (rires)

Lauri : Il ne pouvait pas venir. (rires) Alors on lui a demandé de jouer quelques morceaux.

Et quelle a été ta réaction ?

Emppu : Comme je l’ai dit, c’était plus facile de dire oui à l’audition et à l’idée parce que je ne me projetais pas en tant que membre à part entière au départ. Mais dès qu’on a commencé à jouer, ça a été très naturel. J’avais presque l’impression d’avoir toujours joué dans ce groupe. Je me suis sentie chez moi, en quelque sorte. On a un parcours et une histoire similaires, musicalement comme personnellement. Alors quand ils m’ont demandé de devenir membre officiel, c’était facile de dire oui. Très naturel.


Dans le morceau-titre, Lauri, tu chantes “I’m just a weirdo, I’d never be a hero.” Ça sonne comme un hymne, peut-être même un pont entre vos anciens fans emo et la nouvelle génération. L’avez-vous écrit avec cette idée de rassembler les gens ?

Lauri : Je crois que ce message a toujours été là, depuis le début du groupe. Ce que je dis, c’est que je ne serai jamais un héros, mais il y a tellement de façons d’être un héros.

Je ne pense pas que je pourrais être ce soldat courageux. Ce n’est pas moi. Mais je peux faire autre chose : donner un super concert, comme celui qu’on a joué en Ukraine récemment, pour une œuvre caritative. C’était héroïque d’être sur scène et d’apporter des ondes positives en plein milieu d’une crise. On a aussi pu donner tout l’argent gagné à un hôpital pour enfants.

Emppu : Et il y a tellement de héros différents dans le monde. Pas seulement les plus visibles, mais aussi à des niveaux plus personnels, dans la vie quotidienne.

Lauri : Oui, certains ne sont pas reconnaissables. Ce sont des héros silencieux.

Oui, comme les infirmières.

Emppu : Exactement.

Lauri : Des héros du quotidien.

L’album est assez sombre dans ses textes, par exemple : “Every night reminds me that in the end I’m not enough” (“You Want It All), ou “I’ve been a loser since the day you lit the fuse” (“Love Is A Bitch”). Lauri, ça va ? (rires)

Lauri : (rires) Eh bien, honnêtement… Parfois, ça ne va pas. J’ai des moments très sombres. Et même si je suis plutôt quelqu’un de joyeux, j’ai aussi un côté très noir. Parfois je dois le gérer, m’en inquiéter. Mais quand le groupe va bien, comme maintenant, ça m’aide mentalement. Ça me garde sur les rails et me rend heureux. J’ai l’impression d’avoir une raison de continuer.

Emppu : L’obscurité a toujours fait partie de l’ADN de The Rasmus. Il y a ce mélange entre lumière et ténèbres.

Lauri : Oui, c’est comme les saisons. Dans ma vie, comme dans l’histoire du groupe, il y a eu des hauts et des bas. Tu ne peux pas toujours être heureux et ensoleillé, sinon tu ne l’apprécierais pas.

J’ai vécu à Hawaï, Miami et Los Angeles pendant dix ans, et le climat est toujours pareil là-bas. Finalement, ça m’a manqué. Alors cet été, je suis revenu vivre en Finlande. Voir les saisons changer, c’est incroyable. Et c’est pareil dans un groupe : il faut traverser l’hiver pour mieux apprécier l’été.

Donc écrire, c’est plus de la thérapie ?

Lauri : Oui. Parfois c’est difficile de mettre des mots sur ce qu’on ressent.

Emppu : La musique est la meilleure des thérapies.

Lauri : Oui, c’est la meilleure.

Emppu : Et en plus, pas chère ! (rires)

Lauri : Il y a une chanson très personnelle dans l’album, que j’ai écrite pour mon fils ado. C’était une confession, une manière de lui dire des choses que je n’arrivais pas à exprimer autrement. J’ai pris le temps d’écrire tout ce que je voulais lui dire. Puis je lui ai joué la chanson. C’est la première personne à l’avoir entendue.

Et comment a-t-il réagi ?

Lauri : Il a juste dit : “OK“. (rires) Je lui ai dit : “Tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit“. Parce que c’est un cadeau lourd à recevoir, une chanson écrite pour toi. Mais je voulais qu’il l’entende. C’était ma façon de lui dire que j’ai essayé d’être un bon père, même si j’ai souvent été loin à cause du groupe. Personne n’est parfait, mais nous avons une bonne relation, il va très bien.

Sur ce disque, il y a deux collaborations – Niko de Blind Channel sur “Break These Chains” et Lee de The Funeral Portrait sur “Weirdo”. Et puis sur “Banksy”, tu partages même le chant avec Emppu, ce qui est assez nouveau pour The Rasmus.

Lauri : Oui, c’est génial. Emppu a une super voix. Elle chante aussi très bien en live, par exemple sur “October And April” (2005), qu’on avait enregistré avec Anette Olzon (ex-Nightwish). C’est un vrai atout de l’avoir au micro.

Emppu : Pour moi, ça s’est fait très naturellement. C’est agréable de pouvoir chanter aussi.

Lauri : Oui, et sur “Love Is A Bitch”, la chanson est devenue bien meilleure avec sa partie en réponse. C’était totalement improvisé, le dernier jour au studio.

Emppu : Oui, ce n’était pas prévu du tout.

Lauri : On a juste dit : “Pourquoi tu n’essaierais pas ? Emppu, fais la même chose mais plus fort, en réponse“. Et ça a super bien marché. On s’est mis à vraiment aimer la chanson, au point qu’elle a fini sur l’album.

Quant aux collaborations, Nico est un ami. La scène finlandaise est petite, tout le monde se connaît. On l’a juste appelé : “Hey, tu veux écouter ce morceau ?” Et il l’a adoré.


Emppu : Et c’est un chanteur incroyable.

Lauri : Oui, vraiment. Et Lee Jennings de The Funeral Portrait… On a tourné avec eux un mois aux États-Unis. Ils vont d’ailleurs ouvrir pour nous sur cette tournée. La collaboration s’est faite tout naturellement. J’ai ressenti une connexion immédiate avec lui. Ils avaient même un morceau qui s’appelait “Stay Weird”, avec presque la même idée que dans nos paroles, et je ne le savais pas. Bref, un vrai match parfait.

Emppu : Oui, parfait.


Le pont de “Dead Ringer” a même un passage rap-slam – vraiment original pour vous. D’où est venue cette idée ?

Lauri : En fait, j’ai beaucoup fait ça au début de notre carrière, sur les trois premiers albums. Une chanson sur deux avait des passages rappés ou du chant très rapide.

Emppu : Donc c’est un retour aux racines.

Lauri : Oui, en quelque sorte.

Emppu : Et ça donne une vibe différente, fun. J’adore ce que tu as fait sur ce titre.

Aimez-vous vous pousser à aller dans des choses inattendues pour vos fans ?

Lauri : Je crois qu’on a toujours surpris nos fans avec chaque album. Mais ce n’est pas dans l’optique de les déstabiliser, c’est avant tout pour nous. On doit être un peu égoïstes : faire ce qu’on aime vraiment. Tout est réfléchi, il y a toujours une raison derrière chaque choix.

Parfois, on explore des directions plus électroniques, comme sur Dark Matters. Puis, quand Emppu nous a rejoints, j’ai eu envie de refaire un vrai album rock, avec beaucoup de guitares. Ça a semblé frais à nouveau. Mais on ne peut pas toujours répéter la même formule.

Emppu : Oui, même si les fans peuvent être surpris, voire déçus parfois, je pense qu’ils apprécient qu’on ose évoluer. Répéter toujours la même chose serait ennuyeux.

Lauri : Nos fans les plus fidèles le savent. Ils s’attendent à des changements. Certains plaisantent même : “Vous allez encore changer le logo ? Parce que je pensais me le tatouer !” (rires) C’est ce que j’ai entendu au Mexique récemment.

Emppu : On verra bien. (sourire)

Parlons encore du morceau “Banksy”, clairement inspiré de l’artiste. Qu’est-ce qui vous a parlé dans son oeuvre au point d’en faire une chanson ?

Emppu : On a vu beaucoup d’œuvres de Banksy en tournée, dans les villes où il a fait ses pièces originales. C’est du street art cool, mais aussi très politique, avec des messages inspirants. La chanson, elle, est plus légère, presque punk festive, mais j’aime les références dans les paroles.

Lauri : Oui, on a mis des clins d’œil comme la fille au ballon ou la pluie sous le parapluie. Celle-ci est ma préférée. Je ne sais pas ce qu’il voulait dire exactement, mais ça m’inspire plein d’idées. L’image est belle en soi.

Emppu : J’ai visité une grande expo Banksy à Tallinn, où il y avait des explications sur certaines œuvres. Mais je ne me souviens plus en détail.

Lauri : Mais avec l’art, tu n’as pas besoin de connaître le sens exact. Si ça te fait ressentir quelque chose, alors ça a atteint son but.

Voyez-vous un lien entre son art d’outsider et l’identité “weirdo” que vous célébrez ?

Emppu : Oui, complètement. C’est la même origine. Être en marge des masses, tracer son propre chemin.

Lauri : Oui, ça nous parle beaucoup. J’ai même un petit passé graffiti. Avant de rejoindre le groupe, je faisais des tags et des graffs. Je me suis même fait arrêter une fois !

Emppu : Vraiment ? Je ne savais pas ! Donc tu as un casier ! (rires)

Lauri (rires) : J’étais mineur, heureusement. Mais je traînais avec un groupe d’amis assez borderline. Certains parlaient de braquer des magasins… Là, j’ai dit stop ! (rires) Finalement, le groupe m’a sauvé de ça.

Et vous terminez avec “I’m Coming For You”, nettement plus positif, avec ces “oh-oh” fédérateurs. Était-ce important pour vous de clôturer l’album sur une note d’espoir, comme un passage de l’ombre vers la lumière ?

Lauri : Je pense qu’on choisit toujours avec soin le dernier morceau de l’album, comme le dernier titre d’un set live : celui qui te laisse une certaine sensation une fois que tout est fini. Ce genre de chanson est très difficile à placer ailleurs qu’à la fin.

Emppu : Oui, c’est le seul endroit qui lui convient.

Lauri : Après ça, si tu mettais n’importe quel autre titre – “Banksy”, par exemple – on se dirait : “oh non…”. On réfléchit donc vraiment à la chanson et à l’ordre des titres.

Emppu : Et ce morceau porte une tristesse positive, c’est quelque chose d’important pour ce groupe.

Parce qu’au début du disque, c’est assez sombre, et à la fin on voit la lumière.

Emppu : Oui. Toujours cette alternance de lumière et d’ombre.

© Venla Shalin

Vos fans des années 2000 ont grandi avec vous. Pensez-vous à ce parcours générationnel quand vous écrivez aujourd’hui ?

Emppu : Quand tu écris, tu ne peux pas penser à trop de choses en même temps. Tu dois juste écrire ce qui te semble juste sur le moment. Si tu réfléchis trop large, tu perds l’émotion.

Lauri : …oui, surtout quand tu commences à écrire. Mais avant cet album, j’observais beaucoup la scène. J’ai vu My Chemical Romance revenir, Papa Roach, Linkin Park… Les groupes du début des années 2000. Et aussi de nouveaux comme Bad Omens, Falling In Reverse. Ça m’a enthousiasmé, ça m’a rendu heureux de voir le rock revenir au premier plan, même en tête du Billboard avec Sleep Token. Ça nous a inspirés, forcément.

Et nos fans sont une part essentielle du groupe. Aujourd’hui, on peut dire qu’ils font partie du projet. En concert, on est tous ensemble, on crée l’expérience à égalité. Quand on a révélé le titre Weirdo, beaucoup de fans ont immédiatement réagi : “Moi aussi je suis un weirdo, merci !” Ils se sont identifiés tout de suite, sans explication nécessaire.

Emppu : Juste un mot suffisait.

Lauri : Oui. Et en meet & greet, en dédicaces, les fans nous racontent leurs histoires. On essaie d’être proches d’eux. Certains disent que notre musique les a aidés, parfois même sauvés. C’est très fort.

Remarquez-vous des différences entre vos fans de longue date et les plus jeunes qui vous découvrent maintenant ?

Lauri : Oui, clairement. On le voit dans les données : beaucoup de jeunes découvrent le groupe. Et avec les nouveaux singles, notre nombre d’écoutes Spotify a doublé. C’est génial de voir que la nouvelle génération aussi se connecte à notre musique. Après 30 ans, on est toujours passionnés, peut-être même plus qu’avant, grâce à l’équilibre qu’on a trouvé dans le groupe. On a encore envie d’apprendre et de progresser. C’est un bon point de départ pour la suite.

Vous avez récemment signé avec Better Noise Music. Qu’est-ce que ça fait de rejoindre cette famille ?

Lauri : C’est super. On est flattés de leur intérêt. Ils sont très implantés aux États-Unis, et c’était un peu la pièce manquante pour nous. On n’avait jamais vraiment tourné là-bas. Mais cette année, on a enfin fait 5-6 semaines aux États-Unis et au Canada, avec quelques dates en tête d’affiche. C’était fou : des fans qui attendaient depuis 20 ans de nous voir. On ne s’y attendait pas.

Emppu : Oui, on a été surpris par l’engouement, même dans des villes où on n’avait jamais joué. Des fans hyper dévoués, c’était incroyable.

Si vous vous projetez dans 10 ans, comment aimeriez-vous que l’on parle de Weirdo par rapport à vos autres albums ?

Lauri : J’aimerais que le message passe : qu’il faut célébrer le fait d’être soi-même, d’être unique, même “weird“. J’espère que des ados qui écoutent ça aujourd’hui se sentiront plus forts et confiants dans 10 ans. Qu’ils se disent : “J’ai toujours été moi-même, je n’ai pas changé pour plaire à la société“.

Emppu : Oui, c’est un beau message. Beaucoup de gens, jeunes ou plus âgés, souffrent de ne pas pouvoir être eux-mêmes à cause de la pression extérieure. Si on peut leur donner un peu de force, ce serait déjà énorme.

Lauri : Quand j’étais jeune, je voyais plein de défauts en moi. Plus tard, j’ai compris que ça n’avait aucune importance. Mais à l’adolescence, c’est une vraie lutte. Si notre musique peut aider à traverser ça, on aura servi à quelque chose.

Et vous, comment aimeriez-vous le regarder dans 10 ans ?

Emppu : Je pense qu’on pourra dire que c’était un tournant, le début d’une nouvelle ère pour le groupe.

Lauri : Oui. Avec le recul, tu peux mieux analyser ta musique. Sur le moment, tu penses toujours que c’est “le meilleur truc qu’on ait jamais fait“. (sourire) Mais après, tu vois les lignes rouges qui traversent toute ta carrière, comme un puzzle. Et je crois qu’on est encore loin d’avoir fini. On espère quelques décennies de plus !

Plus à venir !

Lauri : Oh oui, beaucoup plus.

Pour finir : notre site s’appelle RockUrLife. Alors, qu’est-ce qui rock votre life ?

Emppu : Belle question. Et je ne vais pas dire la musique. Je dirais : les droits des animaux.

Lauri : Moi, je vais dire… le chocolat ! (rires)

Ah, parce que la dernière fois tu avais dit “faire que tous les jours soient différents“.

Lauri : Oh mon dieu, c’était profond ! (rires) Là, je me sens différemment. Donc une seule réponse : le chocolat !

Merci beaucoup !

Emppu : Merci beaucoup.

Lauri : Merci beaucoup, belles questions.

© Venla Shalin

Site web : therasmus.com

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Anthony Bé
Fondateur - Rédacteur en chef du webzine RockUrLife