
Pouvoir réaliser une interview avec Envy est un privilège rare, et ce fut un immense honneur de pouvoir échanger avec eux cette année au Motocultor Festival. En compagnie du guitariste Nobukata Kawai et du chanteur Tetsuya Fukagawa, nous avons plongé dans les émotions, la philosophie et la vision artistique qui animent l’un des groupes les plus singuliers du Japon. Comme seul Nobukata parle anglais, il a eu la gentillesse de traduire nos questions ainsi que les réponses de Tetsuya, rendant cet échange aussi intime que profond.
Comment allez-vous aujourd’hui ?
Nobukata Kawai (guitare) : On se sent bien. Nous sommes arrivés ce matin. Hier, nous étions à l’ArcTanGent.
On avait des amis là-bas. Ils nous ont dit qu’ils vous avaient vus… et qu’ils avaient tous pleuré pendant votre concert.
Nobukata : Ah, c’est bien ça.
Ils vous ont aussi vus déambuler dans le festival. Est-ce que quelque chose vous a particulièrement marqué ?
Nobukata : ArcTanGent a été très spécial. C’était la première fois qu’Envy y jouait. L’un de nos musiciens, Tsuji (guitare), avait toujours voulu y aller comme spectateur – mais finalement il y a participé en tant qu’artiste. C’était une belle expérience pour lui, et pour nous aussi. On a fait beaucoup de festivals cette année, mais celui-là ressort vraiment. Et maintenant, on est très impatients de jouer au Motocultor.
Cette année, vous jouez aussi des nouveaux morceaux issus de votre dernier album. L’album s’appelle Eunoia, que l’on peut traduire par “une belle manière de penser“. Quelle a été la plus belle pensée que vous avez eue en le composant ?
Nobukata (traduisant Tetsuya, chant) : Le titre a été choisi une fois que toutes les chansons étaient terminées. On avait plusieurs options, mais Eunoia s’est imposé comme le plus juste, celui qui reflétait le mieux l’esprit du disque. C’est venu naturellement.

Votre musique évoque une perpétuelle recherche de perfection – le bon son, les bons mots, la bonne émotion. Mais la beauté se trouve aussi dans l’imperfection. Quelle place a l’imperfection dans la musique d’Envy ?
Nobukata (traduisant Tetsuya puis ajoutant son avis) : Vous trouvez vraiment qu’Envy sonne parfaitement ? (rires) Merci ne serait-ce que de le suggérer. Pour nous, Envy n’est jamais parfait. Envy joue une musique qui peut sembler “parfaite” de l’extérieur, mais en réalité, il y a toujours une beauté qui vient de ce qui est inachevé, de l’imperfection. Chaque membre a probablement une manière différente de voir les choses, mais par exemple, Tetsuya écrit des paroles sur la croissance de ses enfants. Les enfants ne sont pas parfaits, mais il y a une beauté dans le fait de les voir grandir. Envy lui-même n’est pas complet – et c’est pour ça qu’on continue. Nous recherchons la beauté de l’imperfection. Le groupe peut donner l’impression d’avoir atteint une forme aboutie, mais en vérité, il est encore en progression. C’est dans ce processus que réside la beauté. Et c’est ce qui nous pousse à avancer. La beauté d’Envy vient sans doute de là : la poursuite d’une perfection qu’on n’atteindra jamais.
Vous êtes l’un des rares groupes capables de provoquer autant d’émotions en un seul set. Parfois c’est calme et délicat, parfois c’est la tempête, violent. Comment vivez-vous cette transition sur scène ?
Nobukata (traduisant Tetsuya) : Tetsuya dit qu’il essaie de transmettre ses émotions directement quand il chante. Comme il écrit les paroles, il est rempli d’émotion. Parfois c’est puissant, parfois mélodique et doux – cela dépend de la chanson. En tant que groupe, nous avons tous ces deux côtés : nous pouvons être très agressifs, mais aussi très mélodiques. Cette grande palette d’émotions nous permet de passer d’un extrême à l’autre sur scène.
Est-ce que ça devient plus facile avec l’âge de se connecter à ses émotions et de les exprimer ?
Nobukata : Oui, sans aucun doute. Avec les années, nous avons aussi beaucoup grandi comme individus. Nous avons vécu tant de choses à Tokyo et partout dans le monde. Aujourd’hui, nous sommes capables d’exprimer une variété beaucoup plus large d’émotions et de souvenirs. Il y a longtemps, Envy était plus agressif. Aujourd’hui, avec Eunoia, il y a davantage de beauté et de douceur – mais nous n’avons pas abandonné notre agressivité. Au contraire, elle s’accumule, et ensemble cela devient ce que vous entendez aujourd’hui. En dehors de la scène, en revanche, nous sommes des personnes calmes. Nous ne sommes pas vraiment agressifs de nature. Sauf si quelqu’un nous énerve ! (rires) Sur scène et hors scène, c’est comme un interrupteur : on et off.
On a l’impression que quand on est enfant, on n’a que quelques émotions principales – la joie, la colère, la peur. En grandissant, on apprend des mots pour arriver à définir toutes les nuances. Est-ce c’est pareil pour vous avec la musique dans le sens où vieillir permet de découvrir plus de nuances ?
Nobukata (traduisant Tetsuya, puis complétant) : Oui. Tetsuya pense que le japonais est une langue très belle, et c’est pour ça qu’il choisit d’écrire dedans. Pour lui, les paroles font partie intégrante de l’expression. Il ne réfléchit pas trop à “l’art” dans un sens abstrait. La dimension artistique naît naturellement quand les mots et la musique se rejoignent. Comme hier à ArcTanGent – beaucoup de gens ont pleuré. La plupart ne comprenaient pas le japonais, mais ils ont tout de même ressenti l’émotion. Parce que ce n’est pas le sens littéral des mots qui compte, mais l’émotion qu’ils portent. Nous croyons que la langue japonaise en elle-même a une beauté. Ce que Tetsuya écrit est toujours sincère et rempli d’émotion. Cela crée un message – pas un message linguistique, mais un message émotionnel – qui atteint le public. Cela leur fait ressentir quelque chose au plus profond, même sans comprendre les mots. C’est ça, la force de la musique.
Quel est le prochain rêve d’Envy ?
Nobukata (traduisant Tetsuya, puis complétant) : Ce n’est plus vraiment un rêve – plutôt un objectif. Quand on était jeunes, on avait beaucoup d’ambitions. Mais maintenant, à notre âge, l’essentiel c’est simplement de continuer. L’objectif de Tetsuya est clair : continuer à faire de la bonne musique, partir en tournée, aller le plus loin possible avec Envy. Beaucoup de gens nous disent toujours : “S’il vous plaît, continuez.” Et c’est ce qu’on veut. Rester forts et avancer.
Il y a aussi une manière de penser japonaise héritée de l’époque des samouraïs : quand on est jeune, on pense à comment vivre. Mais en vieillissant, on commence à penser à comment mourir. Ça s’appelle le bushidō, la voie du guerrier. Bien sûr, on ne dit pas qu’on va arrêter demain. Mais on réfléchit à cette idée : comment aller au bout avec dignité, comment continuer ce voyage jusqu’au bon moment. Donc aujourd’hui, le “rêve“, c’est juste de continuer. De vivre dans ce processus, de porter Envy le plus longtemps possible.
Notre média s’appelle RockUrLife. Donc dernière question : qu’est-ce qui rock vos life ?
Nobukata (traduisant puis développant) : Pour moi, le rock n’roll est la réponse. Imaginez un rocher qui dévale une colline : au début il est plein d’arêtes vives. Mais plus il roule, plus il devient lisse, arrondi, plus beau dans sa forme. Pour moi, le rock n’roll, c’est ce processus-là.
Envy est dans ce même état : toujours en train de rouler, de changer, d’arrondir ses angles. Ce qui rock nos vies, c’est ce voyage – continuer à jouer, à vivre, à grandir avec la musique. Chaque jour fait partie de ce processus.
Site web : envybandofficial.com