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FREAK KITCHEN (21/06/25)

C’est littéralement quelques minutes après avoir quitté la Mainstage 2, à l’issue d’un excellent concert, que le leader de Freak Kitchen, Mattias “IA” Eklundh, est venu se balader dans l’espace VIP/Presse du Hellfest.
Venu défendre Everyone Gets Bloody, leur 10e album, il a gentiment accepté de nous accorder une interview. Toujours aussi humble malgré un talent hors normes, Mattias nous a même directement écrit après le show pour nous retrouver, naviguant avec calme dans le chaos des aftershows pour arriver à l’heure. Un moment précieux, à son image : passionné, sincère et généreux.

Un mot sur votre concert, qui s’est terminé il y a à peine quelques minutes ? Ce n’est pas votre premier Hellfest, mais ça reste un moment fort.

Mattias “IA” Eklundh : Je pense que le public a été absolument merveilleux, il nous a portés du début à la fin.
On a eu droit à un wall of death, un “mur de la vie” si tu veux, un circle pit, des gens assis en train de ramer…
C’est toujours un peu chaotique dans les festivals, mais le Hellfest est super bien organisé, et on adore les gens ici. On a à peine eu le temps de faire le soundcheck que c’était déjà l’heure de monter sur scène !
On a voyagé léger cette fois, donc c’est une batterie de location pour Björn (Fryklund, batterie). J’ai dû payer 700€ pour ça. Il est pourtant endorsé, mais faire venir son kit jusqu’ici coûtait trop cher. Mais bon, c’était fantastique ! Il faisait tellement chaud que j’ai cru que j’allais m’évanouir… J’ai respiré un grand coup, et je l’ai fait. Et puis il y avait toute l’énergie du public. Je ne comprends pas comment ils ne se sont pas évanouis eux aussi ! Je crois que certains ont quand même dû être évacués, mais bon… ça fait partie du jeu !


Everyone Gets Bloody est votre dixième album ! Ce ne serait pas le moment idéal pour sortir un coffret ? Dix albums, c’est énorme !

Mattias : Absolument. On y pense, à plein de choses. En ce moment, je travaille sur un nouvel album, Freak Audio Lab, avec trois autres gars. C’est complètement fou, bourré de moments bizarres. Avec Freak Kitchen, on bosse aussi sur un recueil de partitions pour l’album Move (2022). Il sortira en vinyle, accompagné du recueil. C’est idiot qu’on ne l’ait pas encore fait, parce que les gens adorent le vinyle. On a eu énormément de précommandes pour Everyone Gets Bloody en vinyle. Et on peut le signer si on nous le demande… ou pas.

Quelle est la signification du titre de l’album et de l’artwork ? Que nous avons tous du sang “moral” sur les mains ?

Mattias : Je crois que je suis simplement fatigué de la polarisation actuelle : ce côté “j’ai raison et tu as tort“.
Pour moi, ça suffit. Chacun peut penser ce qu’il veut. Je suis végétarien, je recycle, mais les choses que je pensais il y a quatre ans… ont complètement changé aujourd’hui. J’ai des points de vue totalement différents, et ce n’est pas grave ! On peut accepter d’être en désaccord, vraiment. Je veux dire : je m’en fiche que vous mangiez de la viande. Mon fils adore ça ! C’est un grand gaillard, il fait de la boxe, il aime la viande.
Je cuisine même de la viande pour mes deux chiens de 80 kg… ce qui me coûte 500€ par mois. (rires) Et pourtant, je suis végétarien !

Pas de salade pour les gros chiens…

Mattias : (rires) Non, pas de salade pour les chiens ! Quoi qu’il en soit, les gens doivent vraiment apprendre à se détendre. Parce que si je vous mets un coup de poing en pleine figure, je finirai moi aussi ensanglanté.
Tout le monde saigne. Il n’y a pas de gagnant en Israël, en Iran, en Ukraine, ou en Russie. Tout le monde est ensanglanté. Et puis il y a cette autre guerre : celle d’internet. Les disputes, les clashs… Mais franchement, qui en a quelque chose à foutre ? Pendant que vous vous énervez en ligne, la vie vous passe sous le nez.
Vivez, sortez, allez vous balader dans les bois ! Soyez gentils les uns avec les autres. Ça vous reviendra un jour ou l’autre. Faites un câlin à un inconnu ! Ce n’est pas si compliqué. Et vous dormirez mieux la nuit. Moi, je veux juste de la paix, de l’amour et un peu de compréhension. La colère est partout aujourd’hui – sur la route, dans la rue… Alors, s’il vous plaît : détendez-vous.

Y a-t-il une chanson de l’album qui a été particulièrement difficile à terminer ? Que ce soit pour l’écriture, les paroles ou la production – un morceau pour lequel vous avez vraiment dû vous dépasser pour en être satisfait ?

Mattias : Bonne question. En fait, c’est la première fois qu’on me la pose ! Aujourd’hui, avec la technologie et le fait que j’ai mon propre studio, c’est devenu beaucoup plus simple de savoir où je veux aller quand je compose.

Mais avec le recul, je me dis que j’aurais pu faire certaines choses différemment… Il y a toujours des morceaux qui comptent plus que d’autres, vous voyez ? Quoi qu’il en soit, maintenant que je sais ce que je veux, je fonce. Je le tiens, j’ai trouvé, j’ai résolu l’énigme de la chanson. Peut-être que l’année prochaine, je ferai tout autrement. Qui sait ?

Y a-t-il une chanson du nouvel album que vous avez hâte de jouer en live, mais que vous n’avez pas encore pu interpréter sur scène ?

“The Grief That Does Not Speak”, oui. J’aimerais vraiment la jouer, parce que c’est un vrai morceau de scène. Presque comme un mantra du début à la fin… Elle est en 21/4 ! Mais c’est compliqué à jouer pour moi et pour Björn. Il y a des changements d’accords assez particuliers, et le chant est très différent du riff. J’aime penser que je suis plutôt bon en rythmique, mais là, c’est vraiment costaud. Et pour Björn aussi, avec son jeu particulier et ses deux cymbales china… On a déjà essayé, et on a abandonné après une minute. (rires) Mais on y reviendra, peut-être pour la prochaine tournée.


Allez-vous sortir un CD live ou un Blu-ray de cette tournée ? Vous ne l’avez encore jamais fait.

Mattias : Peut-être. Le plus difficile, c’est de réussir à capturer l’ambiance Freak Kitchen sur un album live. Cette énergie un peu brute, sale… et surtout ne pas commencer à trop lisser, à trop polir les choses. Il faut laisser ça tel quel. Parce que dès qu’on retouche trop, la magie disparaît, petit à petit. Mais oui, pourquoi pas un jour. Cela dit, il y a déjà énormément de contenu live dispo un peu partout.

L’un de vos marqueurs, c’est l’usage de l’humour dans vos textes, souvent pour faire passer un message sérieux. C’est encore le cas ici ? À l’exception de “Down The Drain”, qui est dès le départ une chanson sérieuse sur le suicide. Ce n’est pas “Porno Daddy”, qui peut sembler amusante mais dont les paroles sont néanmoins sérieuses et significatives.

Mattias : Absolument. “Porno Daddy” est en réalité une chanson très tragique. Mais son titre est accrocheur, presque amusant – tout comme “Propaganda Pie”, d’ailleurs. Je pense que l’humour permet à l’auditeur de baisser sa garde, de se sentir plus proche, plus humain. On fait tous des erreurs, on est tous vulnérables.

Avec le temps, je me rends compte que plus je vieillis, moins j’ai de certitudes. Sur les premiers albums, j’étais très ironique. Aujourd’hui, je le suis beaucoup moins. Je suis devenu plus sarcastique, mais c’est différent : je m’inclus dans ce sarcasme. Par exemple, dans “Hateful Little People” (sur l’album Move), je ne chante plus “How did you become” avec colère. Je chante “How did we become” – parce que je fais partie du problème moi aussi. C’est pareil pour Everyone Gets Bloody. J’essaie d’être un bon père, un bon mari, un bon être humain… Mais comme tout le monde, je suis plein de défauts. Et pour rester positif, pour garder une énergie saine et optimiste, je dois me protéger des autres êtres humains.

Je vis à la campagne avec ma famille, j’ai mon studio, ma maison, une petite forêt. Je travaille avec très peu de gens. Et je suis à 15 minutes d’un aéroport qui me mène au Japon ou en Indonésie. Je vis une belle vie. Paisible. J’ai des voisins, mais vous ne les trouverez pas : ils sont cachés dans les bois. (rires) Je veux vivre comme ça jusqu’à ma mort, sous des formes différentes selon l’âge et les circonstances : je ne me drogue pas, je ne fume pas, je bois juste un verre de vin blanc le vendredi. Je fais des pompes tous les jours. Je suis plutôt fort, moyennement gras (rires), mais surtout : je fais exactement ce que je veux. Je suis heureux, car je façonne ma vie comme je l’entends. Je suis propriétaire de mon entreprise, des chansons de Freak Kitchen, du merchandising… Je suis libre.

C’est beaucoup de travail, mais ça en vaut la peine…

Mattias : C’est vrai, je travaille comme dix personnes. Je me lève tous les matins à 4h. Mon rituel est de prendre une tasse de café et passe une heure à jouer en ligne. Je suis un champion de Doom, je tire dans tous les sens… mais de la manière la plus amicale possible ! (rires) Ensuite, je commence à bosser, je prépare le petit-déj pour la famille, puis je retourne au travail. Mais je ne travaille jamais le soir. Le soir, c’est sacré : je regarde des films, je lis, je joue.

Le son de ta guitare est une autre de tes marques de fabrique, et tu organises d’ailleurs des stages de
guitare à ce sujet.

Mattias : J’adore animer des stages de guitare, parce que je dois vraiment me préparer. On ne peut pas faire semblant devant 50 à 100 personnes… parfois plus. Aux Freak Guitar Camps, les meilleurs guitaristes du monde viennent en Suède. Ils ne sont pas là pour rigoler. On est généralement entre 50 et 55 participants par semaine, et j’en fais deux, parfois trois semaines d’affilée. C’est complet à chaque fois, dès l’ouverture des inscriptions – depuis 27 ans non-stop. Mais si tu n’as rien à dire, tu es foutu. Tu ne tiens pas une heure.
Je viens justement d’écrire un livret de 72 pages avec dix nouvelles chansons, qui figureront plus tard sur un album Freak Audio Lab. Je mets toute mon énergie et mon amour dans les Freak Guitar Camps. Pendant les stages, j’aime montrer tout ce que je peux, à ma manière… un peu étrange. Ce n’est peut-être pas ce qu’il vous faut, mais c’est ce qu’il me faut, et ça fonctionne pour moi. Parce que je suis le soutien principal de ma famille, je possède ma marque de guitare, c’est une petite industrie artisanale, et j’en vis très bien. Même avec mon niveau merdique de célébrité et de fortune. (rires)


Où est votre Ferrari ?

Mattias : (rires) À la maison. Aucune Ferrari ne survivrait dans les bois.

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas seulement de musique.

Mattias : Non, il s’agit de la vie. La vie, c’est la musique, et la musique, c’est la vie.

On est toujours impressionné par ta capacité à composer des morceaux très différents. Par exemple, dans Organic, on adore le riff énergique et sautillant de “The Rights To You”, mais aussi la délicatesse, la sensibilité et la profondeur de “Breathe”. Ce sont vraiment deux ambiances opposées. Est-ce que ça dépend simplement de ton état d’esprit du moment quand tu écris ? Ou bien as-tu un plan, un objectif précis en tête dès le départ ?

Mattias : Quand je compose, je ne me dis jamais vraiment : “Ça va être une chanson lente ou rapide“. Je fais simplement ce dont j’ai besoin à ce moment-là. Par exemple, “Breathe” a été écrite entre deux semaines du Freak Guitar Camp. C’est une structure simple avec seulement trois accords principaux, et la chanson entière tourne autour de ces quatre accords. C’était aussi une chanson difficile à chanter parce que le frère de Christer (Örtefors, le bassiste) venait d’être assassiné… C’était terrible. Il est d’ailleurs mentionné dans le livret, et nous lui avons dédié l’album Organic. Pendant l’enregistrement de ce titre, j’ai dû faire une pause pour me ressaisir. On peut dire que c’est une chanson très émouvante.

Quant à “The Rights To You”, elle parle en réalité des Rolling Stones et de leur association avec des marques déposées. Ces groupes n’ont pas besoin d’argent, mais aujourd’hui, on les voit liés à Volkswagen, McDonald’s, et d’autres. C’est comme si beaucoup de sociétés possédaient le groupe maintenant. C’est une manière de dire : “Nous possédons les droits sur vous“. Par exemple, Nike nous a proposé une grosse somme pour utiliser notre vidéo “Freak Of The Week” dans une pub, mais on a dit “Non, absolument pas !” Ce n’est pas une pub pour Nike. Je n’ai rien contre eux, mais c’est une grosse entreprise.

Ikea m’a aussi proposé beaucoup d’argent pour faire une pub diffusée dans tous leurs magasins dans le monde, avec un tournage d’une heure devant un écran vert. J’ai dit “super“, mais j’ai refusé. Je ne voulais pas être associée à un scandale potentiel, comme ceux impliquant des enfants, car j’aurais été impliqué par l’argent accepté.

On m’a aussi proposé exactement le montant que je voulais pour aller faire un stage avec la fanfare d’une base de l’armée de l’air américaine en Allemagne. Cela aurait été intéressant, mais hors de la base. Ils m’ont proposé 50 000 euros pour le week-end en disant “On est l’armée, on a de l’argent !” Mais désolé, je ne peux pas accepter d’argent venant d’un organisme militaire. Ce serait de l’argent sale, en fin de compte. J’aurais aimé rencontrer les gens qui travaillent là-bas, mais pas sur la base elle-même.

Parfois, on aimerait juste envoyer la facture et prendre l’argent, mais je ne peux pas faire ça. (rires)

Ce week-end, on a réalisé que nos interviews concernaient trois groupes très différents – Freak Kitchen, Royal Republic, Manegram – mais tous suédois. D’où vient ce talent musical en Suède ? On a lu que la bio de Freak Kitchen mentionne qu’il y a des écoles de musique partout en Suède.

Mattias : Je pense que nous sommes aussi de bons entrepreneurs. On ne veut pas juste être des musiciens, ou des musiciens pauvres, donc on connaît aussi le côté business. Ce qui fait rentrer de l’argent… C’est bien de faire un groupe quelques années et de tourner, mais au final, on veut que ce soit notre vrai métier. Moi, je veux être payé pour ça. Je ne demande pas des sommes folles, juste quelque chose de juste, un salaire à la hauteur du travail fourni, parce que je le mérite. En Suède, on commence à jouer très tôt, même si on est peu nombreux – seulement dix millions d’habitants – il y a plein d’écoles de musique partout.

Il y a toujours une grande alchimie entre vous trois, un vrai plaisir de jouer, même devant un petit
public (Toulouse par exemple)…

Mattias : Nous sommes amis, tu sais.

Oui, mais le monde de la musique n’est pas toujours facile à gérer…

Mattias : Exactement, c’est pour ça qu’on reste très proches les uns des autres. Aujourd’hui, on en a rigolé parce que tous les groupes ont une grosse équipe, de grands camions, alors que nous, on est arrivés avec un petit SUV bleu que j’avais loué à l’aéroport. (rires) On a loué nos instruments, et même Björn a collé des autocollants sur la grosse caisse. (rires) C’est un sac à dos, une guitare pour moi, et voilà.

On a vu votre concert à Toulouse, devant un public bien moins nombreux qu’aujourd’hui, mais votre
plaisir sur scène est exactement le même.

Mattias : Oui, on adore jouer. À ce stade de ma vie, je peux me dire : “Bon, je ne suis pas le mec le plus populaire, je n’ai pas le plus de followers sur Instagram, mais c’est pas grave.” C’est plutôt un bon signe, parce que ça veut dire que je fais quelque chose qui ne cherche pas à plaire à tout le monde. Après, il suffit de faire des reprises pour gonfler son nombre de followers, mais ce n’est pas mon truc.

Y aura-t-il une suite au Freak Guitar Smörgasbord ? Le nom vient d’un plat scandinave, si on a bien
compris
.

Mattias : C’est un buffet, oui. C’est une sorte de sandwich avec tout ce qu’il y a dedans. Et oui, je pense en faire un autre (de projet), oui. Cela pourrait arriver.

Site web : freakkitchen.com

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