À quoi reconnaît-on un tournant ? Parfois, à un simple regard qui se détourne. Sur la pochette d’Idols, Dominic Harrison, alias YUNGBLUD, tourne le dos à son propre nom. Comme un adieu symbolique à l’image qu’il a portée depuis ses débuts. Fini les chaussettes roses et l’attitude provoc, place à l’introspection, à la fragilité, à la réinvention.
Dom Harrison, seul face à lui-même
Idols débute par un au revoir au personnage YUNGBLUD tel qu’il s’est construit depuis ses débuts. Adolescent revendicatif, symbole d’une jeunesse queer et enragée, Dom avait fini par devenir cette “photo accrochée au mur” qu’il évoque dans ses interviews. Une image figée, une sorte d’icône certes, mais creuse. Fini l’envie de plaire. Fini les gimmicks TikTok, les refrains faciles. Ce que propose Idols, c’est une vision. La sienne. Avec “Hello, Heaven, Hello”, fresque opéra rock de neuf minutes, il ouvre son disque comme on claque une porte.
Il y parle de solitude, d’incompréhension, de quête de soi. Il interpelle un moi qui ne répond plus : “Hello, are you in there? Do you still remember, or have you forgotten where you’re from?” Et monte lentement vers une forme de libération, presque mystique. Il s’en dégage dans la musique comme dans la mise en scène du clip une volonté de faire un morceau intemporel. Un adieu au passé pour se tourner vers l’avenir mais avec quelque chose de théâtral. Affranchi des formats de titres faits pour passer à la radio l’artiste donne le ton d’un album qui sera dénudé, risqué, entier.
Un album de vérité(s)
“J’avais deux options : tout montrer ou arrêter. J’ai choisi de tout montrer.” Ces mots résonnent longtemps après l’écoute de Idols, tant ce disque frappe par sa sincérité. Il est traversé d’une urgence presque vitale. Celle d’un artiste qui ne joue plus à faire le rockeur, mais qui cherche à sauver sa peau. Sur “Zombie”, l’une des belles réussites de l’ensemble, YUNGBLUD évoque avec pudeur la maladie de sa grand-mère. Le morceau a été écrit et enregistré en une nuit, dans l’émotion pure. Le clip, porté par Florence Pugh, est bouleversant. Et Dom y reste relativement absent : “Ce n’était pas mon histoire à raconter à l’image. J’ai préféré me taire.“
Ce silence est fort. Il tranche avec le flot ininterrompu d’un artiste habitué à occuper l’espace. Car Idols, c’est aussi l’histoire d’un recentrage. D’un retour à l’essentiel comme sur “Idols Pt. II”, mais aussi de morceaux plus introspectif. Le titre “War“, incandescent, cristallise ce bras de fer avec soi-même. Voix à vif, guitares grinçantes, tension dramatique… tout dans ce morceau respire la lutte intérieure, l’explosion contenue, le besoin de rompre avec la projection d’une image qui ne serait pas soi. Les paroles “I wanna be a liar/I wanna be a fake” témoignent de cette facilité de jouer un rôle et de la difficulté de casser les attentes.
Une épopée sonore pensée comme une œuvre totale
Mais Idols n’est pas qu’un album introspectif. C’est aussi un projet de musicien ambitieux, passionné par l’histoire du rock, par le son analogique, par le storytelling musical. YUNGBLUD y affiche fièrement ses propres idoles. De Bowie à Queen en passant par Oasis. C’est toute l’histoire de la musique britannique qui se retrouve dans chaque morceau. Des influences assumées et digérées avec un son qui retransmets une émotion du live. Enregistré dans sa ville natale, le disque mêle rock brut et envolées orchestrales. Parfois l’orchestration en fait un peu trop, parfois c’est exactement le bon équilibre.
Intimiste comme sur “Supermoon” ou dans la démesure, YUNGBLUD affirme sa volonté de faire du rock un espace de narration. “Ghosts“ incarne cette ambition et cette envie de communion. Hymne taillé pour les grandes scènes, ce morceau entremêle tension rock, chœurs épiques, et une pulsation massive pensée pour les stades. “Ce titre, je l’ai écrit en imaginant 60 000 personnes le chanter. Pas pour la gloire, mais pour le sentiment d’appartenance.“
Lumière au bout de la nuit
Et pourtant, malgré ses douleurs, Idols n’est pas un album sombre. Il est lumineux dans sa manière d’exister pleinement. “Lovesick Lullaby”, ballade au charme britpop et aux accents punk, s’impose comme une respiration. Un moment de répit dans un disque qui ne lâche jamais prise. “Monday Murder” puise dans U2 cette capacité à apposer de la lumière sur un son qui cherche à s’échapper de l’album. Car c’est aussi ça Idols, un ensemble fait pour être vécu. Sur scène, en groupe, à fond.
À l’heure où tant d’artistes se contentent de suivre les algorithmes, YUNGBLUD prend tous les risques. Il se dépouille. Il s’expose. Et il signe, à 27 ans, son œuvre la plus importante. Celle qui pourrait bien redéfinir sa trajectoire, et rappeler à toute une génération que la musique, la vraie, ne se consomme pas. Elle se partage, elle s’éprouve, elle se crie.
Idols n’est pas un disque parfait. Et tant mieux. Il est rugueux, excessif, parfois déstabilisant. Mais c’est un album vivant. Profondément humain. Et totalement sincère.
Informations
Label : Universal Music / Polydor
Date de sortie : 20/06/2025
Site web : www.yungbludofficial.com
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- War
- Ghosts
- Zombie
Note RUL
4/5