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Sleep Token – Even In Arcadia

Il y a des albums qui cherchent à plaire, et d’autres qui cherchent à déranger. Avec Even In Arcadia, Sleep Token creuse un peu plus profond dans la chair de son identité mouvante. Entre envolées théâtrales, minimalisme déroutant et catharsis sonore, le groupe britannique poursuit sa quête d’absolu, flirtant avec le sacré sans jamais renier la douleur. Derrière les masques, la lumière vacille, la foi tremble. Et le doute devient art.

L’équilibre fragile entre foi et fracture

Quatrième offrande d’un groupe toujours aussi insaisissable, Even In Arcadia prolonge la métamorphose entamée par Take Me Back To Eden (2023). Plus que jamais, Sleep Token cherche à brouiller les pistes, entre spiritualité, introspection et ambition sonore démesurée. Ce nouvel album divise, fascine parfois, frustre aussi. Il déroute dans ses choix, dans ses explosions contenues, dans ses silences prégnants. Mais il raconte. Il raconte une montée, une chute, et ce qu’il reste quand l’extase s’efface.

Dès “Look To Windward”, l’auditeur est invité à un voyage hypnotique de huit minutes. Débarrassé de tout artifice au départ, le morceau s’étire lentement, lançant sa tension comme une incantation. La voix, toujours aussi obsédante, ne cesse de hanter, de faire attendre l’inévitable. L’explosion, quand elle arrive, est libératrice, savamment dosée. Le retour au calme se pare d’une instrumentation plus dense, et le morceau s’offre plusieurs mues successives. Entre souffle progressif et dramaturgie pianistique, Sleep Token signe ici une pièce centrale de son sanctuaire sonore.

“Emergence”, lui, installe un paradoxe entre linéarité apparente et chaos sous-jacent. La base instrumentale se construit comme une boucle familière avant de bifurquer vers des territoires hip-hop et EDM inattendus. La guitare se fait attendre, se fait désirer, puis surgit. Mais là où on attendait un climax rugissant, le groupe choisit le contre-pied : un solo de saxophone doux, presque caressant. Sleep Token refuse le soulagement attendu. Il impose le doute.

La foi en doute, la pop en parade

La tension entre esthétisme pop et douleur viscérale se cristallise dans plusieurs morceaux. “Past Self” s’installe dans une ambiance minimaliste teintée de hip hop moderne. Direct, fluide, mais sans grand frisson. À l’inverse, “Dangerous” construit patiemment une ambiance plus tendue. Une basse grondante, un chant en apesanteur, et une progression post rock discrète mais efficace. Le chant, cependant, reste trop uniforme, privant l’ensemble de l’étincelle tant espérée.

“Caramel”, quant à lui, a du mal à convaincre. Son groove latino, son tempo chaloupé, manquent de véritable identité. Il laisse une impression d’entre-deux, un peu flou. Rien à voir avec le morceau-titre “Even In Arcadia”, qui s’impose comme un sommet d’intensité. Là, Sleep Token se livre à nu. La voix s’y fait suppliante, les synthés lancinants, le piano funèbre. Les paroles déchirent : “I am the final dawn, I am the flood / And what was missing from those scriptures will be written in my blood“. Il y a quelque chose d’hémorragique dans cette chanson. Elle saigne, et fait saigner.

“Damoclès” prolonge cette vulnérabilité avec une approche plus pop. Le refrain est entêtant, calibré, presque radiophonique. Mais c’est dans les non-dits, dans les creux, que le morceau révèle une forme de malaise : celui d’un artiste exposé, transformé malgré lui. “Gethsemane” poursuit l’exploration avec une alternance réussie entre pop rock et envolées éthérées. Déstabilisante au départ, la voix gagne en intensité au fil du morceau, qui finit par convaincre.

Beauté fracturée

Even In Arcadia n’est pas un album facile. Il n’a pas vocation à l’être. Une œuvre qui dérange autant qu’elle charme, ralentit quand elle pourrait accélérer, s’adoucit quand l’on attend la violence. Elle interroge les attentes et déjoue les structures. “Infinite Bath”, en guise de conclusion, incarne cette tension : lente montée vers un final grandiose aux accents black metal, d’une noirceur aussi brutale que tardive. Sleep Token signe ici une fresque musicale déconcertante, magistrale, imparfaite.

Un paradis brisé, où chaque note cherche encore sa place. Et c’est peut-être là que réside sa véritable force.

Informations

Label : Sony Music / RCA Records
Date de sortie : 09/05/2025
Site web : www.sleep-token.com

Notre sélection

  • Infinite Baths
  • Look To Windward
  • Damocles

Note RUL

 4/5

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Marion Dupont
Engagée dans la lutte contre le changement climatique le jour, passionnée de Rock et de Metal le soir !