Interviews

FRANCE DE GRIESSEN (10/02/12)

Forte d’un premier album chaudement accueilli par la critique et par le public, France de Griessen est une poupée blonde à l’univers à part. Sa musique mêle vitalité folk, poésie naïve et immédiateté punk. Avant de présenter l’éclectique “Electric Ballerina” (2011) dans la Chapelle des Récollets, France nous a accordé un entretien sans fard. Cinéma, succès, condition d’artiste, projets : l’artiste pluridisciplinaire nous a tout dit.

 

Ton album a reçu des critiques positives. Comment vis-tu cet accueil chaleureux ?

 

France de Griessen : Je suis contente, évidemment. Quand tu fais l’album, quand tu es en processus de composition, de création, tu ne demandes pas à qui ça va plaire. Tu es vraiment à fond dans le processus de création. Après tu peaufines tout ça; et une fois qu’il est enregistré, l’album ne t’appartient plus, en quelque sorte. Tu continues de vivre les concerts tous les jours. Mais une fois que l’album est sorti – parti sur la route vers le public, c’est la grande inconnue. Et quand tu reçois un accueil chaleureux et enthousiaste, c’est très émouvant. Quand j’ai su que les ventes étaient bonnes, en plus des critiques positives, j’étais dans la rue, j’étais super heureuse ! C’est une très belle récompense. Aussi, il y a une chose importante pour moi par rapport au rock n’roll : la musique m’a donné tellement [de choses] que j’ai envie de rendre. C’est vraiment une idée d’une certaine famille, à laquelle on apporte sa contribution; quand cette contribution reçoit cet accueil-là, je pense qu’on peut pas rêver mieux. C’est doublement touchant, d’avoir et la bonne réception des médias, et celle du public. Tu te sens connectée à tout ce que tu aimes dans la musique. C’est une sensation physique, merveilleuse. Tu te dis que tout le travail accompli en vaut la peine.

 

Est-ce que le même genre de sensation te traverse quand tu es sur scène, face au public auquel tu serais connecté ? L’expérience live présente un plus, avec ses aléas, etc ?

 

F : Quand on fait les concerts, au fur et à mesure il y a des choses qu’on a envie de modifier… Mon but, c’est pas de rejouer précisément l’album. Quand tu fais de la scène, les émotions sont physiques. Quand j’ai découvert la chaleur de l’accueil des gens, quand je reçois des mots, des mails, des contacts, après les concerts… Les ventes de disques, c’est vraiment pas rien. Autant les choses dématérialisées, comme le MP3, ça ne me fait rien. J’ai interrogé d’autres artistes : on ne ressent rien. Moi j’aime penser que quelqu’un qui l’a acheté, rentre chez lui, défait le paquet, regarde comment c’est, à l’intérieur, avec le petit livret que j’ai fait, avec les paroles, des photos, des aquarelles… Je trouve ça émouvant.

 

Mais tout le monde n’aime pas l’objet, le CD, avec son packaging.

 

F : Au delà d’aimer et de ne pas aimer l’objet, y a aussi une dimension importante : c’est qu’à moins d’être Lady Gaga ou Britney Spears, les ventes numériques rapportent vraiment des cacahuètes à l’artiste. Pour tout artiste en développement, ça ne permet absolument pas de financer un autre album, par exemple. Pour moi, dans l’idée du rock n’roll et de la musique, il y a une notion essentielle : c’est le partage, le soutien. Acheter le CD physique permet de produire un autre disque, parce que les chiffres sont différents. Certes, c’est plus cher d’acheter un CD, mais moi je trouve que c’est pas incroyablement cher. Ca représente quand même plusieurs années de travail, qui impliquent plusieurs personnes. Cela a un coup de fabrication aussi. Ces [bonnes] ventes-là, comme elles représentent un financement plus important, permettent de faire un nouvel album, [d’avoir] un label prêt à suivre. Mon label, Rue Stendhal, m’a fait confiance. Ils ont avancé de l’argent…

 

Ils ont misé sur toi.

 

F : Ils ont misé sur moi. Il n’y a plus beaucoup de gens qui misent sur les artistes en développement aujourd’hui. Quand j’ai su que mon disque se vendait bien, ma première pensée a été vers eux parce que je me suis dit : “heureusement que ces gens peuvent récupérer la mise”. Ca me met dans une position où on peut envisager, ensemble, un nouvel album – ce qui n’est pas possible avec, uniquement, de la vente numérique.[…] C’est le rôle des artistes de communiquer dessus. Les gens qui n’aiment pas le CD physique ne se rendent pas compte de l’impact de l’achat d’un disque. Si y a plus de disque ou de vinyle acheté, il y a plus d’argent qui rentre, donc le cycle est interrompu. Les seules choses qui seront financées, ce seront les artistes et les labels sûrs de rentabiliser. Le public a un rôle et une responsabilité, il ne le perçoit pas non plus. Les informations ne leur sont pas suffisamment données non plus. Même le téléchargement légal, c’est très peu d’argent, en vérité. Pour en revenir à la question d’aimer ou pas l’objet, [l’enjeu] va au-delà de cette question. Il s’agit de défendre la difficulté culturelle. [Acheter un album], c’est un acte militant, un bel acte de soutien.

 

Concernant l’objet, ta démarche va plus loin, étant donné que tu peins, collabores avec d’autres artistes… Tu envisages la sortie d’un album comme une collaboration d’artistes ?

 

F : Je vois ça comme un monde qui inclut la musique et tout ce qu’il y a autour : un univers visuel, des dessins, des photos, des collaborations… Par exemple ce soir il y aura une performance d’un artiste avec lequel j’avais déjà travaillé, Paul Toupet. J’ai toujours voulu créer un univers. Pouvoir ouvrir cette porte-là avec un joli digipack, c’est chouette. C’est très important. Quand j’ai commencé à discuter avec Rue Stendhal, je leur ai immédiatement demandé s’ils étaient d’accord pour faire un bel objet, avec un certain coût de fabrication à avancer. J’ai toujours aimé les artistes pluridisciplinaires. C’est peut-être mon école de vie, le punk, qui explique ça. Le punk, c’est le Do It Yourself. Si tu fais un concert, tu fais ton affiche; alors tout le monde se donne un coup de main. Ce mode de fonctionnement est très logique. Et puis j’adore échanger avec les autres…

 

 

D’ailleurs tu parles davantage de “rencontres” que de “collaborations”. As-tu commencé à enregistrer ton deuxième album ?

 

F : Je suis en train de le maquetter.

 

Que peux-tu nous dire de cet album ? Quelles sont tes envies – ou même : qu’est-ce que tes rencontres te donnent envie de faire ?

 

F : Je peux rien dire pour l’instant, parce que j’ai des projets et je ne sais pas s’ils vont se réaliser, notamment des “rencontres”… J’aime bien ce mot, il est plus beau que “collaboration”. Ca représente aussi l’idée de choc. Dans “Electric Ballerina”, il y a des collaborations très différentes, comme Elliott Murphy qui appartient à la vague des auteurs-compositeurs à la Bruce Springsteen, qui a une grande carrière derrière lui… Il y a un duo avec mon ami Vérole des Cadavres, issu de la scène punk. Pour moi, c’est pas du tout bizarre de mettre ces choses-là ensemble, sur un même disque. Mon deuxième album n’est pas abouti, mais je sens qu’il le sera bientôt. Je crois pas en Dieu je pense qu’il y a quelque chose qui nous dépasse, comme l’Inspiration. Parfois tu vois un mot écrit par terre, ou tu vois une photo, et tout d’un coup ça déclenche quelque chose qui n’existait pas la veille. Donc je sais que dans très peu de temps ce sera prêt ; et quand c’est prêt, la phase d’enregistrement est rapide.

 

Tu t’imprègnes de beaucoup d’influences, dans le domaine de la musique comme des arts visuels ?

 

F : Oui, mais ça dépend. Tu peux commencer par un texte, tu imagines la musique qui va avec… Ca peut venir comme ça, quand tu grattes ta guitare, et puis le texte vient… J’ai pas de méthode. Seulement, y a un moment où je sens que tout le matériel est prêt et l’enregistrement se fait rapidement. C’est plus la phase de maturation, du mélange qui se fait dans la tête – qui est assez mystérieux, mais qui n’est pas compressible. C’est pour ça qu’il est important de comprendre, notamment politiquement, qu’il est impossible d’être artiste et de renoncer à s’accorder du temps pour penser, pour être dans un monde un peu – ce mot est un peu galvaudé – de bohème, d’inspiration, de poésie. On en a vraiment besoin. Même les gens qui ne sont pas artistes en ont besoin. Je trouve que la société ne va pas dans le bon sens. Ca fait partie des choses dont je me sens investie, tout comme communiquer avec le public sur ce qui se passe avec les albums. Effectivement, il y a des gens qui disent qu’avec les moyens informatiques, tu peux enregistrer et distribuer son album. Ok; simplement tu vas avoir peu de moyens pour produire ton album, tu vas toucher beaucoup moins de monde. En plus il y a des vrais métiers dans la musique : il y a l’attaché de presse, il y a le label, le commercial qui va mettre les CD en place… Je vois ça comme une grande équipe mais ce sont aussi des emplois. Réduire tout à son minimum, je crois pas que ce soit la bonne démarche pour la société. On n’arrête pas de créer parce qu’on n’a pas les circonstances idéales. Mais c’est mieux quand on fait les choses ensemble.

 

Et ce nouvel album est prévu pour quand ?

 

F : On vise septembre de l’année prochaine.

 

Ton actu ?

 

F : Tout d’abord, Virginie Despentes sort un film, “Bye Bye Blondie”, le 21 mars. Il y a deux de mes chansons dessus. J’en suis très contente parce ce qu’elle fait partie des personnes que j’apprécie le plus dans le paysage artistique. Ca fait plaisir de travailler avec les gens dont on aime le travail auparavant. Ensuite, je continue de faire des dates. Je vais également jouer dans un film cet été. Ca s’appelle “Océane”. En revanche, en ce qui concerne le cinéma, les délais sont plus longs : la sortie est prévue pour 2013. Et puis j’ai des projets qui ne sont pas encore lancés, et parfois des actualités se créent… J’espère faire plus de concerts. Je sais que certains sont attristés que je ne fasse pas plus de concerts en province. Alors j’en profite pour passer un message : c’est pas du tout de mon fait. J’adorerais jouer ailleurs qu’à Paris. Mais c’est comme tout, cela un certain prix, pour les groupes. Il faut louer un camion, il y a l’essence… Il y a beaucoup de choses à prendre en compte. Si les disques se vendent bien, ça permet aussi d’aider à financer des choses comme ça. J’aime tellement jouer pour les gens que, quand c’est économiquement viable, je le fais avec un immense plaisir.

 

Dernière question : qu’est-ce qui rock ta vie ?

 

F : La musique ! Et la liberté, évidemment.

 

 

Site web : francedegriessen.com